Vers une appropriation politique de la complexité : nouveaux concepts, nouveaux outils pour la transformation sociale

Conclusions, pour une co-construction des ’outils complexes’ destinés à la transformation sociale

jeudi 15 mai 2008, par Janine Guespin

PolitiqueÉlection

Les outils que l’on peut forger pour enrichir la méthode dialectique en utilisant des concepts issus des sciences de la complexité, telles la dynamique des systèmes non linéaires, ou la science des réseaux, se sont avérés utiles, du moins je l’espère, pour comprendre la dynamique d’un processus concret, l’évolution du CIUN. Ils ont pu également être proposés pour réfléchir à l’adéquation de la structure d’un réseau militant à ses objectifs. Je désigne leur utilisation par le terme ‘analyse dynamique’, ce qui ne doit pas masquer le fait que leur utilisation correspond à une démarche globale, que je propose de désigner comme ‘la pensée, ou le parti pris du complexe’ .

Ils peuvent aussi constituer une grille de lecture. Le lecteur intéressé pourra consulter le texte, publié sur le site d’Espaces Marx, où j’utilise ces concepts pour analyser les apports de l’ouvrage de Jean Louis Sagot Duvauroux, ‘Emancipation’. (voir l’article).

Ces outils comme tout outil, ne se substituent pas à l’ouvrier qui les emploie. Et, comme tout outil ils ne peuvent prétendre à l’universalité [1]. L’analyse dynamique, rendue possible grâce à ce type d’approche ne remplace pas l’analyse politique , elle n’est pas de gauche par exemple, même si elle enrichit et précise la méthode dialectique [2]. Elle rend l’analyse politique plus efficace et mieux adaptée au monde tel qu’il est devenu. C’est ce dont j’espère vous avoir convaincus par ces quelques exemples

Mais ces outils ne sont cependant pas présents sur les rayons d’un magasin. Même s’ils sont potentiellement utilisables plus largement, ils doivent être forgés ‘à façon’ à partir des concepts. Or il s’agit maintenant de rendre cette méthodologie utilisable pour la transformation sociale. Et pour cela il faut que les militants se l’approprient. Et pour cela il faut que les expériences qui se font à partir de ces outils, de ces concepts puissent se fertiliser mutuellement, s’enrichir, et donc se confronter. Et pour cela il faut d’abord que soit présente la conscience que l’on ne peut pas aborder ce monde devenu si complexe avec les simples outils du bon sens, qui vont si souvent à l’encontre de la réalité. Accepter ou pas la complexité du monde est un choix politique, un ‘parti-pris’ . La refuser c’est se cacher derrière l’incertitude pour justifier tous les échecs, ou nier l’incertitude pour justifier tous les pouvoirs. L’accepter c’est reconnaître que l’on a besoin de théorie, que l’on peut moins que jamais se satisfaire de réfléchir à partir des connaissances de base dispensées encore aujourd’hui par l’école, que l’on doit réhabiliter la dialectique et l’enrichir des acquis des sciences de la complexité si l’on veut maîtriser ce que l’on agit dans ce monde.

Est-il très difficile de connaître ce qu’il faut des concepts de la complexité et de la dialectique pour ne pas passer à côté de cette réalité ? C’est la crainte d’un grand nombre de militants, qui pensent qu’une telle démarche serait réservée aux ‘intellectuels’. Pourtant, ce n’est pas plus difficile (au contraire) de militer en tenant compte des propriétés de la complexité dans un monde complexe, que d’affronter les échecs résultant d’une conception linéaire et simpliste du monde ! Ce n’est pas plus difficile de penser organisation et structure d’un réseau en le créant, que de lutter contre les défauts et les dérives d’un réseau déjà existant

Le partage des savoirs est un des enjeux majeurs de la lutte de classes, de la marche vers l’émancipation. Il est donc devenu impératif que les militants de la transformation sociale acquièrent (et contribuent à forger) les connaissances nécessaires pour avoir une vision dialectique et dynamique des processus complexes sur lesquels ils souhaitent influer.

C’est pourquoi il est important que tous ceux qui partagent ce ‘parti pris’ pour la complexité et tous ceux qui en maîtrisent déjà des concepts, unissent leurs efforts pour les expliciter afin de les mettre à la disposition du plus grand nombre de militants . C’est une tâche urgente, même si elle est difficile car il faut à la fois être clair, et ne pas dogmatiser ou codifier ce qui doit au contraire rester créatif et dynamique, et le faire grâce à un dialogue entre personnes qui mettent en œuvre des aspects très divers de la pensée du complexe, et à partir de cas concrets. Il serait donc certainement efficace que ceux qui partagent cet objectif, se rassemblent pour parvenir à une telle co-construction .

Lien vers la quatrième partie : des garde fous contre les dérives autoritaires, délégataires ou centralisatrices ?

[1Ceci peut sembler une évidence ; cependant, en dépit du fait que je n’omets jamais cette mise en garde lors des conférences que je fais sur le sujet, il m’a été reproché de ne pas avoir donné une explication globale du CIUN, ce qui rendait mon approche peu probante. (C’est comme si on reprochait au marteau de ne pas avoir accroché les tableaux.)

[2Qui peut elle même d’ailleurs être utilisée par une droite intelligente. Il est d’ailleurs vraisemblable que ce type d‘analyse est pour me moment plus souvent utilisée par la droite, ce qui n’est peut être pas totalement étranger à son succès paradoxal.