Souriez, vous êtes filmés

dimanche 26 septembre 2010, par Pierre Cassan

Sécurité

Depuis plusieurs mois, une des rengaines gouvernementales est la suivante : les communes doivent se doter de dispositifs de vidéo-surveillance (pudiquement dénommés vidéo-protection) pour garantir la sécurité de leurs habitants. Cette suggestion mérite d’être analysée, confrontée aux réalités et aux principes fondamentaux. Cet article ne fait pas le tour de la question. Il aborde quelques points importants.

Quelques rappels et données techniques

De qui relève la garantie de la sécurité des personnes et des biens ?

La sécurité est une mission de l’Etat qui doit protéger le citoyen. Ce dernier est aussi un contribuable conscient que, par le biais de ses impôts, il finance (entre autres) la protection que doit garantir l’Etat. Cette mission de l’Etat présente de multiples avantages :

  • la neutralité des fonctionnaires qui l’exercent,
  • l’égalité de tous devant la loi,
  • la confidentialité.

Constat n° 1 : la mise en place de dispositifs de vidéo-surveillance ouvre la porte à l’instauration de contrôles ne relevant pas de ces principes.

Qui, comment et avec quels moyens assurer la garantie des personnes et des biens ?

Qui : les administrations qui en sont chargées, soit pour l’essentiel la police nationale et la gendarmerie.

Comment : la prévention et la répression.
La prévention relève des actions policières mais également sociales (éducateurs de rues, acteurs sociaux...).
La répression connaît 2 temps : l’action policière vise à arrêter les coupables ; ensuite, la justice s’exerce, en toute indépendance (notion constitutionnelle), en intégrant l’application de la Loi et les conditions de son exercice.
La prévention, chronologiquement antérieure à la répression, relève des actions policières mais également sociales (éducateurs de rues, acteurs sociaux...).

Constat n° 2 : les évolutions politiques actuelles réduisent les outils dédiés à la prévention. Ainsi, les aides aux travailleurs sociaux diminuent depuis plusieurs années. De même, chacun se rappelle l’intervention véhémente du Ministre de l’Intérieur de l’époque (N. Sarkozy) devant les policiers du quartier du Mirail (Toulouse) leur reprochant de « jouer au foot » avec les jeunes de ce quartier en difficulté. Bref, la police de proximité, base de toute prévention, est abandonnée (exemple local : fermeture du bureau de police à Beaumont) avec chute des effectifs.

Bilan technique de la vidéo-surveillance

Cette technique existe depuis longtemps en de nombreux lieux. Il est donc possible d’en tirer des bilans.

Au niveau international :

  • en Grande-Bretagne, Scotland Yard en dénonce l’échec (rapport 2009)
  • aux État-Unis, de nombreuses villes démantèlent leur dispositif (dernière en date : Miami)

Au niveau national :

  • À Lyon (équipé de 238 caméras), la délinquance sur voie publique a baissé de 33 % entre 2003 et 2008. Mais à Villeurbanne (sans vidéo-surveillance) la baisse est de 48 %,
  • Nice, largement équipée, est une des villes où la délinquance est la plus forte.

Bilan financier de la vidéo-surveillance

Le coût d’un appareil est de l’ordre de 30 000 € (ex : 7,4 millions d’Euros pour 238 caméras à Lyon) auquel s’ajoutent maintenance et suivi pour un coût annuel d’environ 5 000 €/an. Bref un gouffre financier pour une absence de résultats réels.

La vidéo-surveillance et la vie privée.

Les partisans de la vidéo-surveillance avancent l’argument suivant : celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à cacher. Mais ce n’est pas parce qu’on n’a rien à cacher qu’on a tout à montrer, et à n’importe qui.
Par ailleurs, qui décide de ce qui peut être reproché ? On peut partager les inquiétudes de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés), très réservée sur ce dispositif et inquiète de ses dérives.
De plus, la loi est claire. L’enregistrement de l’image d’une personne sans son consentement est une atteinte à la vie privée, protégée par la Convention européenne des droits de l’Homme et par l’article 9 de code civil.

Bref, d’un point de vue technique, financier, éthique, rien ne justifie le recours à la vidéo-surveillance.

Les raisons de la promotion de la vidéo-surveillance par le pouvoir actuel

À cause de l’échec de sa politique en matière de sécurité

En effet, depuis le passage de N. Sarkozy au ministère de l’intérieur, voilà près de 10 ans que les pouvoirs de droite n’obtiennent aucun résultat probant. Malgré (ou à cause) la multiplication de textes (mal ficelés et inapplicables), le bilan est mauvais. Le gouvernement se lance donc dans une nouvelle gesticulation.

Pour masquer sa responsabilité

La baisse constante des effectifs de police nationale, le climat désastreux dans la police (multiples suicides souvent dissimulés), l’abandon de la politique d’une police de proximité, l’inflexion des missions confiées aux policiers : toutes ces mesures contribuent à un affaiblissement, conséquence directe de la politique gouvernementale.

Et pour la transférer

Par un tour de passe-passe, le gouvernement tente de « refiler » le bébé de l’insécurité aux collectivités locales. Exemple : la délinquance augmente chez vous ; ce n’est pas à cause de la diminution des effectifs, ni de la suppression du commissariat. Non : ce qu’il faut, c’est que vous mettiez des caméras et que vous passiez des accords par lesquels votre police municipale devient auxiliaire de la police nationale. Le bénéfice est double : politique (par transfert de responsabilité), financier (par transfert des coûts).

Pour des raisons électoralistes

Il faut donner satisfaction aux électeurs les plus droitiers. La manoeuvre est éculée mais séduit toujours N. Sarkozy est convaincu de raccrocher par des effets d’annonce des électeurs du Front national et de ressouder son camp.

Pour des raisons politiques

Les vraies inquiétudes des Français sont l’emploi, les retraites, le pouvoir d’achat, la santé. Sur tous ces terrains, le bilan est catastrophique. Les mesures vont toutes dans le même sens : moins de service public, plus de cadeaux aux fortunés et plus de sacrifices pour les plus démunis... Donc, l’insécurité est agitée comme un épouvantail destiné à dissimuler les vrais problèmes.

Pour des raisons politiciennes

Il s’agit de semer le trouble dans l’opposition. Le calcul n’est pas totalement raté. On voit ainsi des élus socialistes (à Paris, Lyon) qui, plutôt que de défendre une véritable politique de prévention et pour donner des gages à une partie du corps électoral, cèdent au sirène du ministre de l’intérieur et dépensent de petites fortunes dans la vidéo-surveillance.

Pour des raisons idéologiques

Les pratiques actuelles ainsi que les discours vont dans le même sens : par une dégradation constante des droits reconnus aux citoyens, on habitue l’ensemble de la population a des réactions du genre « ce n’est pas si grave ». et, petit à petit, c’est dans une sorte d’apathie que se « détricote » un ensemble de références constitutives de notre société. Ce glissement n’est pas anodin ; il est porteur de graves dangers.

On peut sans peine multiplier exemples et arguments. Mais tous vont dans le même sens.
La vidéo-surveillance constitue un rideau de fumée qui masque une politique d’ensemble cohérente de la droite la plus musclée.