L’atelier des Pharisiens ou les déboires d’un Grenelle

samedi 11 octobre 2008, par Michel Tarrier

PolitiqueEnvironnement

« Il faut bien que quelque chose bouge pour que tout reste comme avant. »

Atermoiement, moratoire, ajournement, faux-fuyant, tangente, sourde-oreille, tergiversation, suspicion, perplexité, indécision, embarras, dilemme, incertitude, expectative, dubitatif, valse-hésitation, mesurette, sujet à caution, équivoque, calendes grecques, fin de non-recevoir, déboire, déconvenue, rancœur, déni, reniement, tromperie, trahison, entourloupe, désapprobation, veto, opposition, adversité , antagonisme, antinomie, objection, désaccord, désapprobation, récusation, négativisme, double langage, trompe l’œil, faux derche, poltron, bas les masques, marché de dupes, pleutrerie, fiasco, impasse, ratage, bide, plantage, coup d’épée dans l’eau, eau de boudin, feu de paille, pétard mouillé, tour de passe-passe, faux pas, déception, écœurement, désillusion, pierre d’achoppement, queue entre les jambes, bec dans l’eau, vessies pour lanternes, piège à cons, capotage, siphonage, déconfiture, arnaque, fausse route, impasse, hypocrisie, fourberie, imposture, blanchiment vert, calcul politique…

C’est quoi ?

Un lexique à l’usage des participants à tous les Grenelle de l’environnement passés, présents et futurs… Courage intellectuel et politique volontariste ne sont pas au rendez-vous de cette grand’ messe de l’art de décevoir. La religion et son toutou la « laïcité positive » sont maîtres de l’illusion, de la manipulation et de la fourberie. En langage dogmatique codé, on appelle ça vœu pieu.

Comble du pharisaïsme, ce Grenelle déçoit jusque dans les rangs des écologistes les plus conciliants, ceux faits d’une telle élasticité morale qu’ils y croient encore. Fallait tout de même être d’une naïveté rare pour s’attendre à autre chose qu’à servir de faire valoir à un nouveau lobby lucratif , celui du blanchiment vert, récupérateur des inquiétudes les plus légitimes, auto-dévorant ses propres méfaits, génocides, écocides, pollutions, destructions, erreurs, incompétences.

Que pouvait-on espérer de l’ancien candidat aux présidentielles écologiquement le plus mal noté ? Je me souviens parfaitement que Monsieur le Président avait rechigné à signer le pacte écologique pourtant peu compromettant de Nicolas Hulot, se faisant tirer l’oreille et marmonnant quelques paroles de dépit. Mais la chasse aux voix comporte des compromissions. Écologique, lui ? N’avions-nous pas été suffisamment échaudés avec l’un des derniers rôles de composition de son prédécesseur ? Si poltron que, lisant les éco-discours de son mentor en la matière, il se pâmait sur la fin des forêts primaires et la sixième extinction massive d’espèces ! Chirac et sa vie frugale. Ces gens sont vraiment d’immenses cabotins. Et ça marche !

Lui et son entourage de ploutocrates se fichent de l’écologie, de la biodiversité et du devenir de la planète comme de leur première Hildith & Key (c’est la griffe de chemise de Monsieur le Président). Et pourtant, il ne s’agit piètrement que d’environnement. Cet environnement des environnementalistes anthropocentristes qui ne pensent qu’à leur propre bien-être, à jouir d’un milieu agréable pour une vie vivable, la leur. Au diable les autres espèces, la biodiversité invisible ou lointaine, après moi le déluge. Quand je pense que nous rêvons parfois de biocentrisme, de redescendre de notre piédestal, de mettre un terme à cette insupportable domination anthropique qui saigne la Terre aux quatre veines, à toutes ces appropriations indues qui préparent les milliards de réfugiés du Sud annoncés pour dans quelques décennies. Rien ne s’opposera donc à ce grand hold-up planétaire ?

Ce qui est pris n’est plus à prendre.

Leur développement durable est un bel oxymore dans la ligne schizophrénique du paradoxe ordinaire, et notamment politique. Mieux vaut attacher le lièvre que de le faire accompagner par une tortue, aurait pu dire un très vieille adage d’une quelconque sagesse chinoise… à propos du développement durable ! Développement durable ! Mais comment pourrait-on continuer à se développer ainsi dans un monde fini, aux ressources limitées, non renouvelables, a fortiori pour l’abus d’usage d’une population planétaire exponentielle de bientôt 10 milliards ! Tout un délire ! Nicolas Hulot s’indigne de la prochaine organisation d’une course de formule 1 aux portes de Paris sous le signe abusif et imposteur de cet insupportable développement durable. Mais rien de plus normal et cohérent, c’est même le coup de pouce du Grenelle qui permet de telles prouesses surréalistes ! Il n’y a qu’à voir le déferlement d’éco-pubs éhontées qui nous accable : cette communication se justifie cyniquement des thèmes du dit Grenelle. Toute une aubaine pour l’économie, une providence pour les maîtres du monde. Vous n’avez pas encore changé de bagnole, fait installer chez vous une triple isolation renforcée, allons, allons, vite, vite, mauvais éco-citoyens ! Peugeot, Bouygues et les autres proposent maintenant des produits équitables. Réparons la planète… Tour de passe-passe, ce sont eux qui l’ont cassée. Et comme on en trimbale une de ces couches, on marche dans la combine obscène ! Le capitalisme, pourfendeur de la Nature, est tenu par des intérêts plus forts que les propos et les envolées des quelques hurluberlus et autres végétariens anti-nucléaires. Les fossoyeurs du Vivant demeurent les gardiens cruels de tous les lobbies de la mort et de la prévarication.

Ils sont déçus du Grenelle, des Grenelle, mais qu’ils ne désespèrent pas, il y en aura d’autres des Grenelle, des verts et des pas mûrs, c’en n’est pas fini du foutage de gueule. Avec un effet d’annonce au quotidien, Notre Président vous tient la dragée haute. Il y aura toujours des candidats pour parader sous les lambris élyséens et se faire photographier en serrant des paluches. Notre Président n’a pas la fleur aux dents, les hippies, les babas, les bobos, les bébés phoques, le thon rouge, Mai 68, il l’a dit, il s’en fout. Son radicalisme ne vise pas le défi de la Terre, mais la fortune et l’ostentatoire : yachts de milliardaires, jets privés, dîners au Fouquet’s, villa sur la Côte Ouest (américaine bien sûr, pas à Saint-Georges-de-Didonne !), fréquentation de jolis mannequins, Ray-Ban pour faire l’artiste et surtout des montres, encore des montres : Rolex, mais aussi Patek Philippe, Pequignet, Breitling, Breguet.
Bref, il eut été surprenant que l’exaltation de Nicolas Paul Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa par le bling-bling puisse se conjuguer avec un souci majeur pour le destin planétaire et une quelconque empathie pour les règnes végétaux et animaux malmenés. Vanité des vanités, nous sommes à cent lieux de la simplicité volontaire, de l’autarcie, de la survie parcimonieuse, de la décroissance. Les amis de Notre Président figurent tous et sans exception dans la galerie des pires agresseurs de la biosphère, ce sont des éco-voyous, représentants de l’impérialisme énergétique, semencier, phytosanitaire et agroalimentaire. Voilà l’homme aux états d’âmes écologiques qui préside au Grenelle de l’environnement. Quand à ses ministres tâcherons, nous en reparlons quand il s’agira de débattre de la servitude volontaire. Moi qui espérais qu’avec Borloo et NKM on parlerait aussi de biodiversité et de souffrance animale ! Mais pourquoi ne pas nommer Claude Allègre à l’écologie ? On ne fait pas mieux comme con instruit et crétin utile au système.
Je dirais donc que, pour quelqu’un de bien, c’était indigne d’aller s’afficher avec Notre Président, ce n’était pas louable de répondre à cette pantomime, d’espérer pactiser avec le diablotin, c’était aller tout droit au casse-pipe. Le seul amuse-gueule préliminaire pouvait être d’approcher Al Gore, le sauveur de la planète qui, paraît-il, arrache 175 000 dollars pour chaque discours de 75 minutes, c’est une vérité qui me démange… Cette OPA des affairistes sur l’écologie était un évident marché de dupes aux ficelles flagrantes. J’avais exprimé mes doutes il y a une année, ce qui m’avait valu pas mal de reproches de quelques vertueux me traitant de casseur de Grenelle, de pisse-vinaigre, de pessimiste impénitent. Les interventions réalistes du contre-Grenelle furent absolument éloquentes à ce sujet. Il y avait donc à choisir entre deux mauvaises solutions : y participer ou ne pas y participer !
Où en sommes-nous aujourd’hui ? À tourner autour du pot (!) des couches-culottes jetables, puis oser révoquer leur taxation comme produit nuisible. 3 millions de tonnes de ces couches sont vendues annuellement en France ; entre sa naissance et l’âge de la propreté, à raison de 6 changes par jour, un bébé consomme quelque 5 500 couches, ce qui équivaut à 4,5 arbres et une tonne et demi de déchets non-biodégradables (une couche jetable met entre 300 et 500 ans pour se décomposer…). Si le ridicule tuait, un silence de mort régnerait sur cette bouffonnade de l’environnement. On voudrait sauver la planète et on nous refuse déjà un malus sur les couches taxées ! Alors, moins d’enfants = moins de couches. Les bagnoles et les couverts en plastoche soumis à une fiscalité dissuasive ne suffiront-ils pas à nous éviter le pire ?
Notre monde est et restera capitaliste et le crédit écologique que les pouvoirs publics accorderont sera de toute évidence insuffisant à nous épargner les affres qui nous pendent au nez pour la seconde moitié de ce siècle. Pourquoi l’immanence du souci écologique n’est-il pas un concept évident pour tous ? Préparons-nous au suicide collectif !

C’est ainsi qu’à force de déni et de rétention naîtra l’éco-terrorisme que l’on subodore, lequel fera le lit d’une dictature verte et « bienveillante ». Mais nous avons encore 20 ou 30 ans pour jouer à tous les Grenelles ludiques, fourbes et mensongers.

Continuons à nous soucier du PIB et de notre prospérité économique. C’est essentiel et prévoyant dans un monde promis à la pénurie globale des ressources naturelles et des matières premières. Pour comprendre la voie sans issue sur laquelle on nous conduit, posez-vous cette question : a-t’on déjà vu un économiste abandonner sa calculette pour s’asseoir au pied d’un vieux chêne et méditer sur la déplétion des énergies fossiles et le glissement eschatologique vers un âge de pierre postindustriel ? Penser s’en tirer comme ça, sans chercher à inverser les tendances de toute urgence, est une façon de rêver de sa toute puissance infantile. À côté, les objecteurs de croissance font figure d’adultes.

Aller, un petit rappel de ce que disait Jésus, un ami laïque de Notre Président, le premier écolo-gauchiste-à-cheveux-longs et qui n’aurait certainement pas renié Mai 68 pour aller se compromettre dans un Grenelle à dormir debout. Il interpellait alors les Pharisiens…

Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites !
« Alors Jésus, parlant à la foule et à ses disciples, dit :
Les scribes et les Pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse.
Faites donc et observez tout ce qu'ils vous disent ; mais n'agissez pas selon leurs œuvres. Car ils disent, et ne font pas.
Ils lient des fardeaux pesants, et les mettent sur les épaules des hommes, mais ils ne veulent pas les remuer du doigt.
Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements ;
Ils aiment la première place dans les festins, et les premiers sièges dans les synagogues ;
Ils aiment à être salués dans les places publiques, et à être appelés par les hommes Rabbi, Rabbi.
(…)
Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux ; vous n'y entrez pas vous-mêmes, et vous n'y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer.
Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous dévorez les maisons des veuves, et que vous faites pour l'apparence de longues prières ; à cause de cela, vous serez jugés plus sévèrement.
Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous courez la mer et la Terre pour faire un prosélyte ; et, quand il l'est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux fois plus que vous. »

(Évangile selon Matthieu, chapitre 23).