La tragedia dell’arte du photovoltaïque français

Tribune de Cécile Duflot, Hélène Gassin et Denis Baupin

mardi 15 mars 2011, par Hervé Mantelet

PolitiqueÉconomieEnvironnement

La tragedia dell’arte autour du solaire photovoltaïque touche à sa fin. Peu de suspens finalement dans cette pièce aux ficelles plus qu’épaisses, démarrée il y a un peu plus d’un an et que nous résumons ici.

Acte 1 - Prologue de l’annonce anticipée

Le gouvernement annonce que les tarifs d’achat vont baisser (c’est-à-dire les tarifs auxquels EDF s’engage à racheter l’électricité produite par les « petits » producteurs), suscitant une recrudescence de projets et une forme d’engorgement des demandes de raccordement. Particuliers comme maîtres d’ouvrage publics et privés ne sont bien évidemment pas dépourvus du sens du calcul économique.

Acte 2 - La facture impayable

Le même gouvernement explique sans rire que le solaire photovoltaïque va faire exploser nos factures d’électricité au bénéfice de quelques acteurs engrangeant une rente indue et ne bénéficiant pas à l’emploi français.

Seulement voilà, c’est faux. La Contribution au sevice public de l’électricité (CSPE) représente seulement quelques pourcents de nos factures d’électricité et sert essentiellement à financer la mutualisation des surcoûts des zones où la production est chère (îles, zones non interconnectées...), le tarif première nécessité, la cogénération.... Même si la part du solaire photovoltaïque était multipliée par 10, cela représenterait moins de 1% de la facture ! Dans le même temps, aucun ministre n’a trouvé curieux que l’acheminement, qui représente lui 30 à 40% de la facture, augmente sur des bases bien moins claires que la CSPE [1], ni même qu’EDF gage le démantèlement des ses centrales nucléaires sur le réseau de transport de l’électricité financé par mutualisation... Personne non plus pour souligner que la « non disponibilité » des centrales coûte des centaines de millions d’euros à EDF chaque année ou que chaque EPR dépasse de quelques milliards le prix annoncé.... Ce sont pourtant là des raisons objectives derrière la hausse annoncée des tarifs de l’électricité.

Alors, certes, les panneaux ne sont pas tous « made in France ». Les industriels du secteur ont pourtant -en vain- expliqué depuis des années qu’investir dans des usines nécessitait d’avoir un minimum de visibilité et pas un cadre chaotique. Mais c’est oublier un peu vite que le solaire photovoltaïque représente d’ores et déjà 25.000 emplois... et autant de valeur ajoutée « in France ».

Au passage, le public découvre qu’un ménage qui gagne quelques centaines d’euros de plus par an, ou un agriculteur quelques milliers, c’est mal. Pour un gouvernement qui glorifie à longueur d’année la valeur argent et ne trouve rien à redire aux profits des grandes multinationales de l’énergie, le ressort comique est du plus bel effet.

Acte 3 - Les nouveaux tarifs

Complexes à plaisir, ils sont enfin publiés à l’automne 2010, tandis que le crédit d’impôt est réduit de moitié pour les particuliers. La pièce pourrait s’arrêter. Les porteurs de projet refont tourner leurs calculettes. Certains maintiennent leurs projets, d’autres renoncent. Mais non, le ridicule n’est pas encore atteint, continuons donc.

Acte 4 - Le moratoire

La baisse des tarifs n’a pas suffi, les projets sont encore là. La France pourrait même atteindre ses objectifs en avance. Vite, on ressort le gros mensonge sur le coût pour les Français et un moratoire. C’est bien, ça, les moratoires : les écologistes en demandent tout le temps...

Acte 5 - La concertation

Ça aussi, c’est bien, Grenelle en diable. Un peu usé mais efficace. Réunissons donc encore professionnels, ONG, collectivités... Il ne s’agit évidemment pas de chercher ensemble une solution intelligente, mais bien d’épicer un peu une pièce à la chute trop prévisible. Rebond inattendu, on découvre que la fameuse « file d’attente » de projets bénéficie surtout à EDF EN... La victime serait-elle coupable d’enrichissement indu ?

Acte 6 - La chute

Après quelques jours de suspens difficilement tenables, égayés par un nouveau rapport à charge, roulement de tambour, les projets de textes encadrant le solaire photovoltaïque post-moratoire sont diffusés.... restrictions, contraintes, incertitudes sur l’avenir... une oraison funèbre dans la plus belle langue technocratique, émaillée de formules mathématiques compliquées pour aboutir à un résultat pourtant simple à énoncer : pas de ça chez nous.

Certes, le conseil supérieur de l’énergie, réuni mercredi 2 mars, aurait pu ne pas accepter une telle mascarade, mais il n’en fit rien et les décrets et arrêtés mortifères sont adoptés vite, très vite (les décrets d’application de la loi Grenelle 2, eux, ne sont toujours pas parus). L’assistance est soulagée, le monstre solaire est à terre. Fini les rentes indues, les perspectives industrielles, la vraie-fausse augmentation du prix de l’électricité... et 25.000 emplois. Sans éolien et sans solaire photovoltaïque, fini aussi le respect des engagements français d’atteindre 23% d’énergies renouvelables en 2020.

Devant un public choisi, des députés de la majorité et quelques autres visiteurs, François Fillon affiche sa sérénité. Il est, nous dit-on, prêt à assumer la perte de 25.000 emplois pour protéger les Français et leur pouvoir d’achat... Mais si nous ne pouvons que souscrire à la nécessité de protéger nos concitoyen-ne-s de hausses trop importantes des factures et de lutter contre la précarité énergétique, reste que ce n’est pas le solaire le problème mais les dérapages nucléaires, les profits des grands groupes et l’absence de véritables politiques de maîtrise de l’énergie.

Monsieur Fillon, soit votre cabinet vous aura mal renseigné, soit vous nous prenez vraiment pour des imbéciles. Les 25.000 personnes que vous sacrifiez auront tout à loisir de réfléchir à la valeur de vos engagements dans les files d’attente de Pôle emploi. L’ensemble des citoyennes et citoyens, favorables à 97% aux énergies renouvelables (sondage Ademe-BVA du 20 janvier 2011), sauront vous remercier de votre empressement à leur éviter un faux danger en hypothéquant leur véritable avenir.

[1Le « TURPE » qui sert à financer les réseaux de transport et distribution va augmenter de 10% en 4 ans alors même que des milliards de provisions constituées à cet effet ont disparu ces 10 dernières années. Pour en savoir plus sur la distribution, l’exemple de la situation à Paris, voir ici.